-Mon Voisin Totoro se présente comme Le Tombeau des Lucioles dans un Japon rural traditionnel et religieux avec des sols en bois recouverts de tatamis (paille de riz) et des cloisons coulissantes situé entre 1945 et 1955, dans une époque après-guerre avant l’invention de la télévision. Les paysages sont verdoyants et omniprésents et l'homme est plutôt proche de la nature. Avec ce film on peut facilement faire le parallèle entre le réalisateur et le film puisque l'histoire se déroule dans une maison en pleine nature, au milieu des rizières rappelant étrangement là où a habité Miyazaki durant sa jeunesse. Miyazaki avait expliqué que l’idée des Totoros lui était venue dans sa jeunesse, dans une forêt proche de son domicile, celui-il pensait qu’il existait des créatures effrayantes. Autre point personnel à soulever, c’est la mère de Satsuki et Mei, celle-ci est atteinte d’une maladie (sûrement la tuberculose), comme la mère de Miyazaki, qui a été alitée pendant la grande partie de son enfance.
-Il est difficile de définir la nature de Totoro : est-ce que celui-ci est réel ou est-il issu de l'imagination onirique des deux petites filles ? Si personne d'autre que Satsuki et Mei ne le voient en chair et en os, son existence n'est jamais clairement niée par les parents des deux filles… Satsuki et Meï auraient-elles imaginées cette rencontre dans le but d’échapper à leurs profondes angoisses en trouvant en Totoro un réconfort dans un passage de leur vie difficile ? Un peu comme le E.T de Steven Spielberg qui intervient dans un passage difficile dans la vie du jeune garçon. On se souvient d’Alice suivant un lapin blanc dans les bois très pressé jusqu’à un terrier qui la conduira au pays des merveilles. Ici, c’est la même chose avec Mei qui suit le tout petit Totoro au fond des bois jusqu’à tomber dans un trou qui la mènera au gros Totoro. Mais est-ce que le film s’étend jusqu’à la même substance d’Alice aux pays des Merveilles. Dans le roman, on sait déjà que le pays des merveilles est une représentation du subconscient de l’héroïne. Doit-on alors appliquer la même formule à Mon Voison Totoro ?
-On peut se risquer à dire que c’est possible au vu des différents indices que laisse le long-métrage. Quand Mei poursuit le Totoro blanc, à un moment celui-ci disparait et réapparait brièvement, et si cela était dû au fait que Mei doive se concentrer très fort pour apercevoir ce Totoro ? La plupart des apparitions du Totoro colle avec l'endormissement de la jeune fille de 4 ans... Après avoir longuement jouée seule, Meï finit par s'endormir et la première fois que le Totoro surgit coïncide au moment où Meï s’endors. Certains effets de mise en scène semblent montrer indirectement que les créatures sont issues de l’imagination débordante des enfants. Quand les noiraudes quittent la maison, on les voit clairement s’envoler de la maison mais le plan suivant, on voit Satsuki endormi dans son lit. Un raccord on ne peut plus clair qui laisse entrevoir la rêverie de la fillette.
-D’autres indices suppose que le Totoro serait issue de l’imagination débordante des fillettes. Lorsque Satsuki découvre le Totoro à l’arrêt d’autobus, le cri que pousse celui-ci rappelle étrangement le croassement d’un crapaud que l’on voit après dans le plan suivant. Etant fatiguée d'attendre le retour de son père, celle-ci aurait très bien pu imaginer le Totoro, influencée et excitée par les dires de Meï trouvant un réconfort pendant sa longue attente. Celle-ci aurait t’elle succombée à l'imagination débordante de sa petite sœur en imaginant à son tour sa rencontre avec le Totoro ? Quand le Totoro disparaît dans la nuit coïncide avec les phares du bus et le bruit de moteur qui va ramener les fillettes dans la réalité ! Tout comme le comportement des noiraudes qui rappelle drôlement le comportement des têtards qui s’enfuit dès qu’on met la main dans l’eau. Les noiraudes peuvent être vus comme une allégorie aux peurs enfantines de fillettes. Cependant certains points ne peuvent pas être expliqués par les rêves comme quand Satsuki rencontre Totoro, celle-ci lui remet un parapluie avec lequel il s'en va dans le chat-bus ! Nous avons parfaitement vu qu’elle le prend plus tôt dans le but de le donner à son père. C’est la présence de Satsuki, entre l’enfance et l’âge adulte qui crédibilise l’existence du Totoro. Comment expliquer aussi la séquence finale où leur mère trouve un épi de maïs à la fenêtre ? Les graines plantées données par le Totoro et plantées par les filles ont fait des pousses…
-La fin du film appuie sur ces différents points pour approuver l’existence des esprits de la forêt dont Satsuki fait appel pour retrouver sa sœur. Miyazaki a avoué que les fillettes ne reverraient plus jamais Totoro. Si Satsuki et Mei étaient restées dans le monde de Totoro, elles n’auraient pas pu revenir dans le monde réel.
-Totoro est l’image même de la pureté et de l’innocence. Il peut être assimilé à l’objet transitionnel de Winnicott. L’objet transitionnel apparait chez les enfants après la perception d’une différence entre son corps et celui d’un autre. L’enfant s’aperçoit que sa mère et lui sont deux personnes bien distinctes et qu’il est dépendant. Mais pour lutter contre des angoisses dépressives (comme Satsuki et Mei envers la situation de leur mère) et pour conserver un sentiment d’omnipotence, il va se trouver donc un objet transitionnel (comme le doudou par exemple). Cet objet est un objet « non-moi » mais aussi « moi » que l’enfant possède. Concrètement la mère est représentée au travers de cet objet en étant absente sans renvoyer à des angoisses dépressives. A travers cet objet, la mère est absente et présente en même temps. Totoro vient en aide à Satsuki quand la mère des deux filles est à l’hôpital. Face à ses angoisses dépressives où la perte de l’objet est imminente, l’angoisse ressort vers la fin du film, où les deux filles apprennent qu’il y’a un problème avec leur mère, Totoro permet de contenir et de garder le contrôle sur ses angoisses. C’est cette même angoisse de perte qui amènera Mei à rendre visite à sa mère. A un moment du film, on voit Mei dire que lorsque sa mère reviendra, ils dormiront ensemble, plus tard dans le film après sa rencontre avec Totoro, elle dormira sur son ventre. Malgré l’absence de sa mère, Mei s’endort avec Totoro comme un enfant qui dort avec son doudou.
-Que Totoro soit réel ou imaginé, on s’en fiche parce qu’il est l’expression de tout ce que l’on peut avoir de bon en nous. On ne peut pas vraiment croire qu’il soit simplement une imagination car cela reviendrait à dire que toute cette bonté n’est que du fantasme. Comme une fée, le gracieux Totoro n'existerait que si l'on croyait en lui, et qui d'autre que les enfants pour lui permettre d'exister ? Totoro est bien plus qu'un simple nounours : c'est le pouvoir de l'imagination capable de faire face à une dure réalité toujours avec le sourire. Comment ne pas s’extasier quand il permet aux filles de faire croître un arbre gigantesque de la terre, que l’on peut clairement identifier à un imaginaire qu’il faut faire grandir. Au Japon, dans certaines familles, les parents font poussés des arbres à la naissance de l’enfant afin qu’ils grandissent en même temps. Le fait que Miyazaki use grandement d’illustrations de la nature comme un prisme à l’émanation de la magie ne fait qu’accroitre ce sentiment de pureté universellement réjouissant. Totoro permet aux filles d’éviter les angoisses dépressives suite à l’absence de la mère, et leur permet de grandir. Le retour de leur mère à la maison marque donc la fin de cette aventure extraordinaire et enchantée, pendant laquelle les esprits de la forêt ont accompagné les jeunes filles dans cette phase difficile d'absence de leur mère.
-Les différentes personnalités des deux filles offre un point de vue intéressant : Mei est encore très petite et peut assimiler le fantasmatique et l’intangible à sa réalité alors que sa sœur Satsuki, est montrée comme bien plus rationnelle et responsable lorsqu’elle assume quasiment le rôle de mère à la maison (sur certains points, elle a dû s’adapter à son absence et grandir trop vite pour son âge). Miyazaki a rendue son personnage humain et imparfait lorsqu’il l’a faite pleurer. Les Totoro et les esprits de la forêt ne sont pas perceptible ni audibles par les adultes. Les adultes ressentent leurs mouvements par des coups de vents comme lors de la course du chat-bus. Quand les filles disent en avoir vu, la grand-mère leur explique qu’elle le pouvait également étant petite. Les enfants ont cette innocence que les adultes ont perdue en grandissant.
-Le rapport à l'imaginaire du film est très présent. Sortie de l'enfance, Satsuki se soucie guère de trouver un monde fantastique dans la campagne et va à ses occupations mais étant sorti de l’enfance récemment elle acceptera néanmoins cet univers fantastique lorsqu'elle y sera confrontée. Leur père appartient au monde des adultes et celui-ci est trop occupé par son travail pour se rendre compte de la magie des lieux. Miyazaki dit qu'il voit ses films comme des divertissements, sans retenir de messages particuliers. Cependant, on peut sentir ses intentions, le titre nous fait clairement comprendre que les humains et le reste de la nature sont des voisins. A chaque fois que je vois ce film, Miyazaki nous semble dire « regardez cette belle campagne, il faut la préserver »
-Les thèmes du film restent divers et variés mais chers à Miyazaki, le film est un hymne à la nature et à ses merveilles cachées. De beaux paysages naturels, avant que l'homme n'use de sa folie de destruction. On découvre des animaux qui semblent surnaturels proches de la nature. De l'enfance qui possède la faculté de s'émerveiller et d’accéder à la magie. Le thème de la famille avec un père qui s'occupe des enfants pendant que la maman est à l'hôpital. Réflexion sur la disparition du merveilleux.
-Mon Voisin Totoro c’est aussi des références à la religion comme l'a dit Esus et plus particulièrement le bouddhisme qui se traduit par des icônes repérables facilement dans le film et le shintoïsme une religion antérieure au bouddhisme qui honore des divinités, personnifications des forces de la nature. Plusieurs passages du film y est fait allusion comme la scène du retour à la maison sous la pluie où Satsuki et Mei s’abritent sous un temple bouddhiste ou lorsque Mei se perd, on aperçoit des statues qui représentent Jizo considéré comme le protecteur des enfants.
-Parlons maintenant du scénario de Mon voisin Totoro, Miyazaki réalise un film sans réelle intrigue où il ne se passe pas grand chose mais le tout y est fait avec une grande efficacité. C’est un livre d’images aux couleurs chatoyantes et aux musiques entraînantes. La structure narrative du métrage est construite par bonds successifs et sur une suite d’événements de la vie quotidienne de deux enfants. Le film décrit 5 jours complets et une nuit, à quoi s’ajoutent un moment intermédiaire de passage de plusieurs jours (au moment du retour des deux filles qui racontent leur rencontre avec les Totoros), puis un écoulement de jours heureux en images fixes dans le générique de fin. Mon voisin Totoro est une perle dont la réussite tient probablement du génie de la mise en scène de Miyazaki, celui-ci « joue » intelligemment entre un monde magique et un monde très réaliste. Les décors qui sont une marque de qualité chez Miyazaki sont comme toujours extrêmement travaillés et peaufinés jusqu’aux moindres détails : les couleurs, les tuiles des toits, les feuilles des arbres, l’ondulation de l’eau. Il y a là un travail important sur les changements de lumière et sur les différentes teintes de couleurs.
-Les répliques du film et les personnages sont parfaitement écrits et font mouche à chaque fois comme quand Mei fait tout ce que Satsuki fait. Devant de telles scènes, on ne peut qu’admirer le travail de Miyazaki, toujours à la recherche du geste, de la réplique ou de la mimique juste. Avec des personnages aussi bien développés, aussi bien écrits, aussi attachants provoque chez le spectateur une identification immédiate et un retour à son enfance avec une subtilité rarement égalée. C’est ce choix d'un monde fantastique et onirique apaisant qui apporte au film ce charme bien singulier qui fait nous pouvons facilement nous identifier au point de nous dire que cette rencontre est à la portée de tous si l'on sait voir plus loin que ce nos yeux disent pour retrouver notre âme d'enfant.
Conclusion : Mon voisin Totoro est un film doté d'une richesse et d'une profondeur extraordinaire. La beauté du film vient principalement de ce rapport mystique avec la nature et des rêveries enfantines. Miyazaki réussit à rendre un univers fantastique, plausible, et merveilleux qui enchante les enfants et plonge les adultes dans des abîmes de la nostalgie enfantine. Une véritable pépite de l’animation japonaise par sa mise en scène, ses influences et ses références. Une hymne universelle à l'enfance et à sa magie. Mon Voisin Totoro reste une œuvre phare de la filmographie de Miyazaki que l’on peut voir sans modération.