Très cher frère,
Je suis lésée de cette école, non décidément, elle ne me va pas bien... mes larmes ne cessent de couler !
J'y peux rien ! Presque tout le temps, il me tarde de t'écrire, au gré de mon inspiration fofolle !
Oh, je sais bien que pour toi je ne parle pas à tort et à travers, n'est-ce pas ? Car vois-tu parfois, j'en ai bien du chagrin ! mais c'est plus fort que moi, et j'y peux rien ! Dans ma tête, je te parle sans arrêt, jusqu'à n'en plus finir, tellement que j'ai plus rien à dire en classe, du coup je sais pas au juste quelle impression je peux faire.
Si je te dis ça, c'est que ta très chère soeur s'est faite remarquée, malgré elle. Oh, je ne me donne pas en spectacle, je n'ai pas à te l'apprendre. Tu le sais bien, moi, je voulais me faire toute discrète, une petite souris, n'est-ce pas ? avec mon amie Tomoko, et d'ailleurs, c'est elle qu'il fallait remarquer, pas moi.
Tu te souviens de Tomoko ? Tu sais, celle qui déborde d'énergie ! oh pour ça, elle n'en manquera jamais, une vraie pile électrique ! et elle sera bien heureuse, avec une source de vie aussi abondante ! J'espère bien ! car c'est mon amie d'abord, et puis surtout, oh et puis non ! pas de surtout, parce que c'est mon amie, tout simplement !
Mais à toi, mon très cher frère, je peux parler comme ça, hein ? Toi, tu ne me juges pas, et quand bien même ! je ne le sens jamais que tu hasardes sur moi un regard sévère, ou que tu juges sans en avoir l'air, mais c'est toujours conciliant et si plein de bonté !
Vrai, tu es si bon !
Et j'en ai tellement besoin en ce moment : mes larmes ne cessent de couler !
Mais j'espère que je t'amuse en te parlant comme ça, en gamine toute bête... C'est sûr, je suis immature, très naïve, n'est-ce pas ? Mais laisse moi le temps de grandir, très cher frère !
Laisse moi le temps... ah le temps, il m'en manque pas mal, surtout dans cette école.
On doit être forte, et tout de suite ! A Seiran, plus qu'ailleurs, car vois-tu, il y a des filles si accomplies ici, et même dans ma classe, que c'est pas une chose à faire... mais moi, je manque de caractère.
Certaines ont l'air déjà prêtes pour la vie des grands, des adultes, elles en ont le corps et déjà l'esprit !
Et moi, j'ai encore l'air de tâtonner, je me perds un peu sans boussole, tandis qu'elles, elles marchent avec assurance. Elles sont sûres d'elles. Elles parlent comme dans les livres, et bien entendu, ça m'en impose.
J'espère plus tard avoir, non pas cette assurance, peut-être que je l'aurais jamais, mais bien une assise sûre et sereine au dedans de moi-même pour m'y retrouver afin de reprendre force.
Toi, tu es un fort, ça se voit, et puis tu rassures, alors, finalement, tout va bien !
Donne-moi un peu de ta force, très cher frère, tout juste un peu, ça te coûtera rien, et puis après, je lèverais la tête plus haut.
Mais rigole pas, hein ? Vois-tu, ça me vexerait, et puis, j'aime tellement l'idée de pouvoir te parler à coeur ouvert, sans avoir à en rougir, à me laisser aller avec toi, sans pensée de derrière que je pourrais te décevoir, je me fortifie même dans cette idée.
Si même ce sont des chimères, je sais bien qu'à tes yeux, elles seront attendries, et que tu les auras de ton coeur atténuées, puis si je ne le pensais pas, je ne pourrais pas t'écrire.
C'est aussi simple que cela ! Tomoko trouve ça bizarre, mais ça me paraît si évident, si naturel !
Et je n'ai plus peur de me montrer, ça me fait du bien, comme lorsque je tenais un journal. Mais là, c'est plus pareil, car il y a quelqu'un derrière. Et c'est toi.
La confiance, on la donne à qui l'on veut, n'est-ce pas ? Tu as reçu la mienne, je l'ai donné les yeux fermés. Je sais que je l'ai placé au bon endroit, à la bonne personne, je n'imagine pas le regretter, même en vivant mille ans de souvenirs.
En l'occurrence, ça m'arrange, hi, hi ! cela tombe merveilleusement, car je me trouve toujours si disposée pour parler, une vraie bavasseuse, moi ! et puis, j'en ai encore bien à te dire, Oniisama, tiens toi bien, car je n'ai pas même commencé !
J'espère que tu pourras m'entendre sans trop te lasser, n'est-ce pas ?
Dans les intervalles de ton travail, j'espère que mes lettres ne t'ennuient pas trop.
Mais que tu m'attendes un peu s'il te plaît, sans te fâcher, et puis, attends... attends pour de vrai... non non, c'était rien, maman venait juste de m'apporter une tisane, elle avait vu de la lumière !
Ma chère maman ! Hi, hi, si elle avait su que je t'écrivais ! Moi, écrire à un garçon ! elle a dû croire que je faisais mes devoirs !
Comme c'est drôle !
Je fais mes cachotteries, comme tu vois, mais c'est si bon de partager quelque chose ensemble !
Mais ce sera encore mon secret, et je veux te prêter à personne, hein ? T'es d'accord, dis, que je sois ton unique soeur ?
Ca me fait si plaisir que je m'oublie, moi ta soeur ! Et tellement que j'en oublie tout le reste, et je ne sais plus même comment commencer !
Et pourtant, il le faut...
On dirait que je retarde le moment de te parler sérieusement, comme si je prenais mon élan pour me donner du courage, avant de me lancer dans le pénible, enfin, pour te parler de mon école.
Et voilà, c'est dit, le mot est prononcé, ou va l'être : mon école Seiran.
Au départ je voulais être une élève discrète, avec mes résultats honorables. Rien de plus. Au lieu de ça, je suis l'attraction générale.
Soulever aussi soudainement l'intérêt, dans toute l'école, ça ne me va pas, ou comme le disait une langue perserse, ça n'aurait pu m'arriver que comiquement !
Mais tout d'abord, je dois t'apprendre une chose. J'étais à peine au fait des us et coutumes de cette école, vois-tu, je venais tout juste d'apprendre ce qu'était le Cercle de la Rose, que m'en voilà du jour au lendemain membre !
Oh je ne suis pas la seule, mais elles sont pas nombreuses. Y'a aussi une autre fille de ma classe qui en fait partie, mais surtout, surtout, une sorcière qui m'en veut mortellement pour lui avoir chipé sa place !
Alors, tu comprends que j'ai bien de quoi me ronger l'esprit, ma parole, ça craint !!!
Oniisama, mes larmes ne cessent de couler...
Mais devine pendant que je m'essuie les yeux, on se murmure que la présidente du Cercle de la Rose a fait de moi sa protégée ! T'endends çà un peu ?
Sa Majesté Fukiko ! Sa Majesté en personne ! Elle m'a choisie !
Je suis une élue en quelque sorte, celle que personne ne remarque, mais que Sa Majesté distingue !
Maintenant, elles n'ont d'yeux que pour moi. C'est comme si j'étais anoblie finalement, Lady Nanako Misono, hi, hi !
Pour sûr que ça fait des jalouses et que ça jase.
Pis, y'a même celle qui m'en veut à mort, elle s'appelle Aya Misaki. Eh bien tu vois cette Aya, elle a placardé partout un torchon sur papa et maman, partout partout ! comme quoi, enfin, que papa et maman c'était pas réglo, que c'est mesquin, mesquin !
Tout le monde sait bien que c'est Aya Misaki qui a fait le coup, elle avec ses deux pétasses. Et le pire, c'est que tout le monde croit ces taspés, impossible d'échapper à ce torchon qui traînent sur tous les murs.
Et maintenant, on me regarde tout de travers, et ça, ça me déchire, j'ai honte !!
Ben tu vois, y'a des moments où on se sent seule au monde, et si seule dans la foule !
Et toi, tu m'apparais si loin alors... Où es-tu, très cher frère ?
Moi qui savais rien de ce secret de famille, ben du coup, j'ose même plus regarder maman sans penser à ça, à tout ce scandale ! Je me dis : est-ce que c'est vrai ??? mais j'ose pas, non maman, j'oserai jamais lui en parler, ni lui faire de question. Jamais, jamais !
Mais comment Aya peut-elle savoir tout ça? Oh je sais bien que son père est fichtrement renseigné, mais de là à chercher querelle à une petite puce comme moi ! De là à fouiller nos placards pour trouver un squelette ! que c'est honteux ! vilain, vilain, eh bien, c'est encore plus méchant !
Oniisama, mes larmes ne cessent de couler !
Ben heureusement, y'a quand même des filles sympas comme Kaoru, mais tout le monde ici l'appelle la Générale. A elle, ça lui va bien.
Et devine un peu, quand elle a lu le torchon, Kaoru, elle est entrée dans une telle colère qu'elle l'a tout bonnement arraché, oui, héroïquement ! elle en a fait une boule de papier qu'elle a jeté plein la figure à Aya Misaki !! Ouah ! La vache, t'aurais dû voir ça.
Bien fait !
C'était ma revanche. Ben du coup, je suis presque consolée.
N'empêche, la Misaki, elle a reçu le coup froidement, elle est restée de marbre, non rien de rien, elle est restée debout, le regard fixe, quel culot !
Et pareil, quand Mariko lui en a collé une, et une autre fois, quand elle lui a tiré les cheveux bien fort, Misaki a pas bronché non plus. Faut dire qu'elle l'avait tout le temps cherché.
Bien fait quand même !
Mais pas moyen qu'elle rende du tac au tac, physiquement je veux dire.
C'est les gens, c'est comme ça, y'a des méchancetés de toutes sortes, comme celles de Misaki. Elles ont plus rien dans le ventre dès qu'elles reçoivent leur raclée.
Maman dit qu'il faut désespérer de personne, mais elle connait pas Aya, pour sûr. Et si maman savait ce que Misaki sait sur nous ! Je te raconte pas.
Mais je me trompe, si, si, Aya, elle rend tout de même les coups. Ils ne sont pas donnés sur un ring, ce sont pourtant les pires ! Là où ça fait le plus mal !
Elle chanterait un autre air sinon, je lui rendrai bien son round comme Mariko, encore que j'ai su depuis qu'elle mettait tout le monde K.O. en escrime et à la course.
Mais tout de même, elle m'en a trop fait, j'ai pas à la plaindre, non. Faut pas me le demander à moi. Pas de pardon. Je suis sans miséricorde à son égard.
Mais dis, tu m'en veux pas, n'est-ce pas, si je mets trop de rancune ? ça me soulève tout ça. Il faut m'excuser, vois-tu, je souffre beaucoup. Aya Misaki m'a fait trop mal.
Mais passons, passons, épisode à suivre, tu n'en rateras rien. Et passons d'autant plus vite que j'ai fait la connaissance d'une fille extraordinaire !
Oniisama, ça me bat fort à t'en parler. Oui, c'est mon rayon de soleil à elle seule. Elle éclaire, et elle échauffe en même temps.
Mais on lui a collé un surnom qui lui va pas du tout.
Dis, cher frère, tu connais Saint-Just ?
J'ai lu plein de bouquins sur lui, et sur la Révolution Française, Michelet et tout et tout, et je comprends toujours pas comment on a pu lui donner un nom pareil.
Plus j'apprends à connaître Rei et plus la distance qui la sépare de Saint-Just est grande. Non, décidément, elles y connaissent rien toutes ces filles béates à se pâmer. Il leur faut la Révolution et son tranchant. Toujours du clinquant.
En vérité, ça me fait froid dans le dos un discours du vrai Saint-Just, tandis qu'elle, Rei qu'elle s'appelle, elle me fait chaud au coeur. Elle parle en vers, très cher frère, et du Verlaine, s'il vous plaît, il pleure son coeur... c'est si beau, que parfois, j'en ai de la peine.
Au beau milieu de la rue, toute seule, comme à cette heure dans la nuit, ça me surprend.
Oniisama, mes larmes ne cessent de couler !...
Oh il est déjà tard, presque minuit, je dois abréger. Mais je ne veux pas finir sur une note trop triste, non, car j'ai pas à me plaindre malgré mes petits soucis.
Non je ne dois pas m'abandonner.
Et tu vas voir, pour clouer le bec à toute cette tristesse, tout récemment, à la sortie de l'école, j'ai encore fait la connaissance d'une fille, et pas n'importe qui, une célébrité !
Tu devines ou je te raconte ? Mais non, tu devineras jamais, et comment donc, t'y étais pas, faut bien que je te dise, hi, hi !
Tu connais Minami Asakura ? Tu sais, la grande gymnaste de Meisei?
Les journaux n'arrêtent pas d'en parler. Elle ira au J.O. qu'ils disent.
Eh bien crois-le ou non, elle se trouvait hier à l'entrée de l'école ! en train de regarder les élèves qui sortaient. Et puis, tout à coup, elle m'a regardé !
C'est juré, je mens pas.
Tout le monde regardait Minami Asakura, tout le monde la reconnaissait, ça papotait, que même, la rolls noire de Sa Majesté s'est arrêtée !
La vitre s'est abaissée complètement !
Le chauffeur est descendu. Mais non, Minami a refusé poliment, elle a pas voulu lui parler, et pourquoi donc ? Devine ? Je te le donne en dix, je te le donne en vingt, je te le donne en cent !
A la surprise générale, Minami Asakura, elle est venue à moi !!!
Elle m'a demandée comment je m'appelais, enfin, des trucs qui si elle n'inspirait pas tant de confiance, j'aurais trouvé ça louche.
Je dois avoir un charme fou pour attirer les célébrités, hein ? Après Miya Sama, c'est dire. Je finirais sur un piédestal.
Très cher frère, ta soeurette finira starlette !
Que c'est chouette !
Hi, hi la rime est venue toute seule. Et c'est comme ça depuis que je lis Verlaine. Les rimes ça vient facilement, hi ! hi ! Mais j'ai de la marge encore, c'est pas fini, tu vas voir quand j'aurais lu Shakespeare !
Mais je bavarde, je bavarde, je dois conclure, et Minami Asakura, elle m'a fait une question pas ordinaire quand même, et elle avait l'air un peu déçu après, quand je lui ai répondu que je savais pas si papa était batteur ou s'il était allé au Kôshien.
Dis, ça s'appelle pas passer du coq à l'âne, ça ? On veut faire amie-amie, et puis d'un coup, sans crier gare, une question qui arrive d'on ne sait d'où ! Ca surprend !
Ben du coup, quand j'ai vu son revirement, pour pas trop la décevoir, je me suis dit qu'après tout, c'était bien possible que papa soit allé au Kôshien.
Papa est si modeste, si humble, que c'est peut-être vrai ! Et même, quand je t'avais dit mon nom, tu connaissais tout de suite papa, le célèbre professeur Misono ! Tu vois ? Alors, le Kôshien pourquoi pas ? C'est ce que je pensais.
Minami a dit qu'elle reviendra un jour, elle a pas dit quand, mais elle était partie plus rassurée.
Je dois dire que j'ai fait la fière, oui, j'avoue, et je valais bien mon statut de membre du Cercle de la Rose après ça !
Tant pis pour les autres, et na pour Aya !
Oui, je méritais bien l'élite ! Et na encore !
Que des envieuses !
Minami Asakura à Seiran pour venir voir Nanako Misono : ça en jette, hein ! y'a de quoi être flattée tout de même !
Mais c'est dommage, très cher frère, papa m'a dit tout à l'heure qu'il jouait seulement au tennis à l'école. Du coup, faut bien que je lui dise la vérité.
Tu sais, j'aimerais bien m'en faire une amie, j'espère que je la décevrais pas trop. Je croise les doigts.
Minami Asakura est plus belle en vrai que sur les photos. Elle porte un uniforme tout sage. J'aime pas les uniformes, mais sur elle, c'est trop classe !
Vive la gymnastique !
PS : Je viens de m'acheter le coffret de Cynthia ou le Rythme de la Vie. Sûr qu'on aime encore plus la gym après ça ! Et moi qui me suis inscrite comme une tarée à l'atelier de cuisine, j'étais pas inspirée des masses, ouiinnnn !