Ghost in the Shell est un film d’animation adapté du manga très complexe de Masamune Shirow, Ghost in the shell crée en 1991 probablement un des mangas les plus abouti et les plus complet de la bande dessinée japonaise. L’un des mangas les plus connus du genre cyberpunk. Le film a été réalisé par Mamoru Oshii qui mélange habilement animation traditionnelle et effets numériques. Oshii est le réalisateur de quelques longs métrages comme l’œuf de l’Ange, Beautiful Dreamer et Patlabor dans le monde de l’animation avant de connaitre la consécration avec Ghost in the Shell, mais il a également réalisé des films live comme The Red Spectacle, Stray Dog et Talking Head. Le style d’Oshii ne convient pas à tous, faisant parti des réalisateurs qui s’occupent plus de l’ambiance qu’à l’histoire, c’est avant tout du cinéma contemplatif dans un environnement assez froid comme le fait Nicolas Winding Refn ou Andrei Tarkovski.
Même si richesse de l'œuvre n'est plus à prouver, l’essence même du film fascine par sa vision de la fin de l'humanité et la naissance de sa succession. Avec un scénario complexe mêlant politique et science-fiction, Ghost in the shell dévoile une œuvre philosophique dont les enjeux donnent le vertige et dont la vision moderne semble s’affirmer davantage au fil du temps. Le récit laisse plus ou moins de côté l’aspect policier pour se concentrer sur ce qui semble être le véritable sujet du film : la quête d’identité de Kusanagi. Avec une mise en scène troublante et inventive comme cette discussion à un moment du film sur le bateau, lorsque toute la frustration existentielle de Motoko se dévoile dans son discours sublimé par un travelling compensé et culmine l'apparition d'une voix fantôme rendant la scène à la fois intrigante et angoissante.
Des effets de ralenti et l’étrangeté de la ville dont Hong Kong aurait servi de modèle donne au film une force, presque surréaliste. Le design esthétique est choisi avec brio permettant une immersion parfaite dans cet univers cyberpunk, le film côtoie donc la perfection comme certaines séquences qui restent figée sur le regard bouleversant et vide de Motoko Kusagani. Durant ces scènes, la musique de Kenji Kawaï monte en crescendo portée par des percussions touchantes sur des chœurs transcendant. Dans le générique, Oshii montre la création du cyborg Motoko, sa naissance, le début de la renaissance qui aboutira à sa transcendance. Au moment de son saut dans le vide, le regard de Kusanagi est gravé dans nos mémoires, comme lors de son éveil, face à une machine devenue un être vivant, face à la citée tentaculaire, face à l'éternité qui s'ouvre devant elle. Ce regard est artificiel : c'est le regard d'une machine mais on n'a jamais été autant proche de la sève même de l'âme humaine avec Motoko. Ce qui peut déranger dans le film, c’est qu’il y a peu d'action dans le métrage mais à chaque explosion, chaque coup de feu ou chaque combat, frappe plus intensément le spectateur.
Ghost in the shell expose de nombreux thèmes philosophiques à travers le personnage des cyborgs, la nature de l’identité humaine est abordée (une partie du cerveau de Motoko est d’origine humaine, ce qui provoque chez elle de nombreuse questions) Comme dans le Blade Runner de Ridley Scott dont l'auteur s'est visiblement fortement inspiré : l'ambiance de la ville, détails de l'architecture, société déshumanisé et déstructurée et le panorama très sombre et claustrophobe. Le récit policier est rapidement mis à l’écart afin de privilégier les questionnements des personnages principaux. L'aspect métaphysique est primordial dans le film, et ce malgré des scènes d'actions spectaculaires, le rythme du film est assez lent rythmé par les dialogues existentiels de Motoko. Au-delà de la question de savoir ce qui différencie l'être humain de la machine ou de la spécificité de la pensée humaine, le film aborde également la question de l'unicité, de l'individu en tant qu'entité indépendante et séparée d'un tout encore plus vaste. Les questionnements de Motoko nous renvoient à nos propres interrogations et doutes sur l'humanité dans ce qu'elle a de radicalement "autre". Ainsi, le récit de la saga ghost in the shell est explicitement source de thématiques postmodernes. Les interrogations couvrent des domaines nettement plus nuancés et vastes, en intégrant par exemple l'invention d'internet ou les problèmes liés à la reproduction des androïdes. On peut ajouter une réflexion sur l'autonomie, la conscience, les interactions avec les machines, l'évolution de l'espèce humaine, la perfection corporelle, la vie, la mort, la condition humaine, l'âme ? Sans oublier les pistes au sujet des possibilités, des dérives, voire des finalités des réseaux d'information et des technologies informatiques etc.… On peut aussi trouver des références au surhomme de Nietzsche, au parc humain d'un Peter Sloterdijk ou de la fin de l'humanité d'un Francis Fukuyama. Les interrogations couvrent des domaines nettement plus vastes et nuancés, en intégrant par exemple l'invention d'internet ou les problèmes liés à la reproduction des androïdes. Les dialogues de fin du film peuvent signifier que le nouvel être a quitté un état primitif qu’il a transcendé. Puppet Master/Motoko se perd dans un autre stade d’existence à savoir La Toile.
Mamoru Oshii déclare que la grande force de l’anime vient de la création d’un autre monde qui est complètement détaché de la réalité. Un concept qui peut même s’appliquer au design des personnages. Une des particularités des personnages est la simplicité de leur design. Oshii joue aussi sur la représentation de personnages féminins nus sans sexe, cette particularité créée des personnages qui possèdent un sexe hybride qui empêche toute notion fixe d’identité. Ghost in the Shell n'a pas la prétention d’expliquer la conscience et le vivant d'une façon scientifique, le film reste une œuvre esthétique et artistique avant tout. C'est une véritable réussite par la qualité de son histoire très réaliste, ses images issues d'outils graphiques de haute technologie et la bande son exceptionnelle (étonnante et formidable musique composée par Kenji Kawai). En 2004, Oshii réalisera une suite au film, sous le nom de Ghost in the Shell 2 : Innocence. Sublime visuellement, l'œuvre approfondit les questionnements déjà présents dans le premier volet.
Conclusion : Devant Ghost in the shell, on est devant un film certes contemplatif mais qui aborde des réflexions comme l’avenir de l’humanité et de la vie en offrant des réponses aussi formidables qu'optimistes. Le chef-d'œuvre d'Oshii offre un déluge de plaisirs et de mélancolie urbaine omniprésente. Il a laissé sa place à de dignes successeurs avec l’Eden de Hiroki Endo, ou bien sûr les Wachowsky avec Matrix. Un film d’animation phare du XXème siècle avec Akira, une œuvre intemporelle.