Un article de lequipe très intéressant sur le derby de cette 27° journée:
Bastia-Ajaccio, histoire d'une rivalité
Maître de conférence à l'Université de Corse, l'historien Didier Rey revient sur la rivalité entre le SC Bastia et l'AC Ajaccio, qui s'affrontent ce samedi (20h00) lors de la 27e journée de L1.
«Didier Rey (*), quels sont les ressorts de la rivalité entre le SC Bastia et l’AC Ajaccio ?Il y a la vieille rivalité entre les deux villes. Bastia était la capitale
de la Corse génoise, du XVe au XVIIIe siècles. Ses élites étaient plus
commerçantes que celles du Sud
(où se situe Ajaccio) qui,
elles, étaient plus tournées vers la carrière des armes. L’arrivée au
pouvoir de Napoléon Ier, originaire d’Ajaccio, a changé beaucoup de
choses. C’est lui qui fait d’Ajaccio le chef-lieu de l’unique
département de l’île, à partir de 1811, jusqu’à la
bidépartementalisation en 1975. La fortune d’Ajaccio vient de ses
fonctions administratives alors que Bastia est une ville plus
industrielle et commerçante. Donc pour les Bastiais – dans l’imaginaire
populaire, les stéréotypes – il y a eu un renversement : Ajaccio est une
ville de parvenus alors que Bastia est la ville des gens bien nés.
Et concernant les clubs de football ?La grande rivalité en Corse a longtemps été entre le Gazélec – ou le FC Ajaccio,
qui le précédait dans l’entre-deux-guerres – et le Sporting. Celle entre
l’ACA et le SCB est née avec l’accession en D 1 du club ajaccien en
1967, qui a été suivie par celle du Sporting un an plus tard. Ca n’a
duré que quelques années, jusqu’à la relégation de l’ACA en D 2 en 1973.
C’étaient des matches très chauds, avec quelques échauffourées. On
était dans l’opposition traditionnelle Nord-Sud de l’île.
Le Sporting n’était pas encore ce qu’il représente aujourd’hui sur l’île…Jusque-là, le club corse, c’était le Gazélec, qui avait gagné quatre titres de
Champion de France amateur (1963, 1965, 1966, 1968). Et l’ACA avait été
le premier club insulaire en D 1, avec dans ses rangs Étienne
Sansonetti, le meilleur buteur du Championnat en 1968. Le tournant
symbolique remonte à la victoire de Bastia sur l’ACA en match
aller-retour lors du huitième de finale de Coupe de France en mars 1972.
Bastia est ensuite allé en finale, il s’est ancré en D 1, il y a eu
l’épopée en Coupe d’Europe (1977-1978) et la Coupe de France gagnée en
1981. Les bons résultats du Sporting conjugués à la résurgence du
nationalisme sur l’île ont fait qu’une très forte identité s’est
accrochée au club. Le Sporting est devenu le symbole du football corse.
De 1973 à la remontée en Ligue 1 de l’ACA en 2002, il n’y avait pas de rivalité entre l’ACA et le SCB ?Rien du tout, l’ACA était retombé dans l’amateurisme. À partir de 2002, la
rivalité entre les deux clubs avait évidemment changé par rapport à la
fin des années 1960. Bastia avait acquis la légitimité historique, avec
un capital identitaire très fort. Il y a des Ajacciens supporters de
Bastia alors que le contraire n’existe pas. Aujourd’hui, quand on voit
les résultats de l’ACA qui est devant le SCB même sans les deux points
que la Ligue lui a retirés, il y une crainte chez le supporter bastiais
que l’ACA devienne le club de la Corse. D’où leur dénigrement ou les
bombages qu’on voit souvent "ACA Gaulois". En retour, l’expression
partisane des supporters ajacciens s’est "corsisée".»
(*) Auteur de Football en Méditerranée occidentale de 1900 à 1975, paru en 2010 aux éditions Piazzola.