LE PLUS. Megaupload, c'est fini depuis le 19 janvier.
La plateforme de téléchargement incarnait le piratage contre lequel les
majors tentent de résister. Faut-il voir dans sa disparition la main du
lobby de l'industrie musicale, inquiète de voir un nouveau modèle
économique émerger dont elle serait exclue ?> Par
Thomas Gouritin Rédacteur chez CometikEdité par
Sébastien Billard Comme
souvent avec les sujets technologiques, Megaupload a connu son heure de
gloire médiatique "grand public" en un clin d’œil. Beaucoup de choses
ont déjà été écrites sur le fond du problème. Ce qui m’intéresse ici est
plutôt de comprendre pourquoi le FBI a pu agir aussi "facilement" et
rapidement ?
Capture d'écran du site Megaupload (Mark St George / Rex Fe/REX/SIPA)
Il semble que le lobby de la musique (ou en tout cas de la musique
comme produit de grande consommation) soit bien plus influent que ce
qu’on veut bien nous laisser croire. Megaupload menaçait-il de lancer un
service révolutionnaire qui aurait pu faire le bien des artistes contre
les majors ?
Internet, une chance pour les artistes Il faut distinguer ici les "artistes" et les "produits commerciaux".
Pour faire (très) simple, le milieu de la musique est très disemblable
si l’on se place du côté de l’industrie musicale (qui porte si bien son
nom) ou des "artisans" de la musique. Parce qu’il y a bien plusieurs
niveaux de lecture en ce qui concerne les usages d’internet en matière
de "création".
Pour prendre l’exemple français, il suffit de regarder les meilleures ventes d’albums de 2011. Dans le Top 5,
il y a trois "artistes" français : Nolwenn Leroy, Les Enfoirés et Les
Prêtres. Quel point commun y a-t-il entre ces trois albums ? Ce ne sont
que des reprises ! Soutenir la création, c’est donc subventionner une
industrie qui recycle encore et toujours les mêmes recettes (en vrac :
Chimène Badi, Dave, Les Marins d’Iroise, Lulu Gainsbourg…).
La loi Hadopi est bien faite par et pour les grandes majors, il n’y a plus de doutes là dessus depuis longtemps. Des majors qui se
remplissent les poches avec des albums de reprise donc. La création et
l’exception culturelle française en prennent un sacré coup...
Mais pour ceux que j’appelle les "artisans" de la musique, ceux qui
profitent des avancées technologiques pour s’auto-produire à moindre
coût, le constat est bien différent ! Beaucoup de ces groupes avec un
réel projet artistique et une vraie personnalité galèrent et jettent
parfois l’éponge face à l’hypocrisie d’un milieu dominé par les majors
d’un côté et les "acteurs culturels" officiels de l’autre. A coup de
grands projets, de noms barbares (comme pour l’Education nationale, ça
fait bien d’inventer des mots que l’on est les seuls à comprendre,
lorsqu’il y a réellement quelque chose à comprendre derrière
d’ailleurs…).
Bien entendu, il faut qu’une œuvre musicale rencontre son public pour pouvoir pérenniser un projet. Ce serait complètement démago de
prétendre à l’Art pour l’Art, surtout à une époque où tout va très vite
et où n’importe qui peut maintenant enregistrer convenablement pour
trois fois rien.
Mais pour ces artisans de la musique, Internet est un magnifique
vecteur de communication qui permet de toucher un plus grand nombre
d’auditeurs que dans sa seule région avec de multiples concerts sous
payés dans des bars mal fréquentés. De nombreux groupes mettent en
écoute leurs albums gratuitement et proposent à l’internaute de
l’acheter pour soutenir le groupe. Comment ça ? Un album mis à
disposition gratuitement par un groupe lui-même ? C’est pas très correct
tout ça, de là à ce que le FBI vienne fermer les plateformes comme
Bandcamp…
Vers une musique sans intermédiaire Comment réussir à faire converger les intérêts des artisans et des
majors ? Malheureusement, si j’avais la réponse, je serais déjà
milliardaire... ou en prison. Et oui, en prison, comme Kim Dotcom, le
fondateur de Megaupload. Je n’excuse pas tout le contenu illégal partagé
sur ce site par ses membres à travers le monde.
Mais ce qui est assez intriguant, c’est la rumeur qui court sur le web comme quoi le problème principal du site n’était pas Megaupload en lui-même, mais ses projets…
Il était en effet question d’une plateforme Megabox,
destinée à permettre aux artistes d’interagir directement avec leur
public et de toucher beaucoup plus d’argent qu’à travers les plateformes
actuelles (gérées par les majors, faut-il le rappeler). Imaginez donc
toutes ces plateformes "légales", qui ne reversent au final que très peu
de droits d’auteur, se faire doubler par un service qui serait positif
pour l’artiste mais aussi pour le mélomane... C’est impensable et cela
méritait bien l’intervention du FBI. Imaginer toucher à la main mise de
toutes ces multinationales de l’entertainment sur la culture, quelle
infamie, ça fait vraiment froid dans le dos…
Comme le disait Xavier Niel ce mercredi dans son intervention devant
la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale : "les
majors ont annoncé des profits records, alors que les artistes eux ne
voient pas du tout ces profits records…" (encore une fois, il faut
nuancer avec les quelques artistes qui remplissent des stades bien
évidemment).
Internet est une chance pour un monde dynamique comme celui de l’indépendant (attention, le vrai indépendant, pas celui qui finit par signer chez
Universal en lisant Libé). Je prendrais un exemple concret avec le bien
nommé "Combat Nasal".
Quel est le concept ? Compiler plusieurs fois par an des groupes venus
du monde entier sur une compil' gratuitement mise à disposition des
internautes.
"Combat Nasal" œuvre dans le rock/metal et est mené de front par deux
habitués des fanzines et des magazines spécialisés. Leur objectif est
de faire découvrir leurs coups de cœur musicaux dans des styles très
variés et venant du monde entier. Et que va faire l’internaute après
avoir aimé un titre ? Il va aller acheter l’album en direct sur le
MySpace/Facebook/Bancamp du groupe. Pas d’intermédiaire, relation de
confiance avec le groupe, rencontres enrichissantes… Après tout, c’est
l’essence même, pour moi, de la musique : découvrir, rencontrer et
partager. Et pour cela, le web peut être un excellent vecteur.
C’est à nous citoyens et internautes de savoir quelle culture nous voulons. Avec la loi Hadopi, le projet de loi SOPA/PIPA et
la fermeture de Megaupload, les tentatives de censure par des lobbys
qui voient leurs cadenas sauter continueront sans aucun doute.
Voulons-nous la culture que l’on nous impose depuis si longtemps ou la
vraie, celle que l’on découvre et qui nous parle vraiment ? Si l’on veut
défendre cette culture non officielle qui se bat pour survivre, il faut
se battre contre cette dictature des majors qui cherche à imposer sa
vision éculée d’un monde sans Internet par des actions liberticides.
Source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/311773-megaupload-quand-les-majors-tentent-d-imposer-leur-propre-vision-de-la-culture.html
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